Voyages et coeurs brisés
C’est chez le coiffeur, en feuilletant le très sérieux Vogue Magazine entre deux retouches pour camoufler mes cheveux gris (!), que j’ai trouvé le sujet de cet article. À l’approche de la saison estivale — et des vacances — un article posait la question suivante : un voyage peut-il transformer un cœur brisé ?
Curieuse, je suis allée fouiller la littérature scientifique. Voici ce que j’ai trouvé.
Le deuil ne prend pas de vacances… mais…
Voyager ne supprime pas la douleur d’une transition de vie ou d’une perte importante. Il ne “guérit” pas le deuil. Ce serait trop simple — et trop injuste pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens ou l’énergie de partir.
Dans certaines conditions, par contre, un déplacement physique peut devenir un espace symbolique de mouvement intérieur. C’est ce qu’on appelle parfois, dans la littérature anglophone, le grief travel ou le bereavement tourism — termes un peu marketing, j’en conviens, qui ont l’avantage d’être clairs.
Des études (Kirtley, 2023 ; von Prittwitz, 2022 ; Williams et al., 2023) suggèrent que l’exposition à de nouveaux paysages, à la nature, à des routines différentes peut :
allumer une forme de présence à soi qui était anesthésiée ;
offrir un répit du regard des autres ou des attentes sociales ;
servir de cadre à une transition intérieure ou à un rituel personnel.
Ce déplacement peut aussi accentuer la douleur, surtout si le voyage ne respecte pas nos besoins réels ou s’il est trop chargé d’attentes. Il ne faut pas confondre “changer de décor” avec “aller mieux”. On part à la découverte d’un pays… et de soi. On y explore des zones inexplorées, on défriche un nouveau chemin. Celui d’un corps marqué par la maladie, qui nous dévoile des sens jusqu’ici mis en sourdine. Celui d’une vie sans une personne aimée ou avec elle, autrement dans les limites de sa présence ou de ses capacités. Celui d’une partie de soi qu’on accepte de laisser aller, doucement.
Ce que la recherche nous dit (vraiment)
Les études sur le deuil et le voyage s’entendent sur quelques points :
Le voyage peut aider à se reconnecter au corps et à la nature, deux leviers que j’ai souvent abordés ici ou ailleurs, pour soutenir la régulation émotionnelle.
Il peut créer un espace propice à la réévaluation de ses valeurs, de ses priorités, ou de la relation avec la personne disparue.
Il peut faciliter ce qu’on appelle le “meaning making” — cette lente fabrication de sens qui ne supprime pas la perte, mais l’inscrit dans une continuité.
Et non, ce n’est pas le billet d’avion qui fait ça. Ce sont les conditions dans lesquelles on part, les intentions qu’on y met, et parfois, les hasards bienvenus du voyage : un paysage, une rencontre, une solitude étonnament apaisante et fertile.
Pour réfléchir avant de partir
Je vous propose quelques questions de journaling ou pour accompagner la réflexion, que vous partiez ou non :
Si je partais en voyage avec mon chagrin à mes côtés, que voudrait-il voir, entendre ou ressentir ?
Qu’est-ce que je cherche à fuir, consciemment ou non, dans mon envie de partir ?
Quel moment de paix, même fugitif, ai-je déjà ressenti dans un lieu nouveau ?
Qu’est-ce que j’espère ramener de ce voyage — et que puis-je créer ici, sans partir ?