Comment traverser un deuil blanc ?

Des pistes d'adaptation et de soutien

Le deuil blanc –

cette perte d'une personne encore vivante mais psychologiquement absente – est l'une des épreuves les plus difficiles à traverser.

Contrairement au deuil qui suit un décès, il ne s’accompagne d’aucune fin claire, d’aucun rituel pour marquer la rupture. C’est ce qu’on appelle un deuil ambigu.

Il est possible d’apprendre à composer avec cette réalité, à trouver un équilibre fragile entre la douleur et ce qui demeure, pour autant que l’on soit capable d’accepter la vie telle qu’elle est : bien imparfaite. Au cœur même de ces pertes se révèlent souvent des forces insoupçonnées. Des capacités d'adaptation, de créativité que vous ne saviez pas posséder. Cette épreuve ne définit pas seulement ce que vous perdez, elle révèle aussi qui vous êtes.

Le deuil blanc ne dit pas seulement ce qui s’efface. Il dit aussi quelque chose de vous — de ce qui résiste, de ce qui reste vivant.

Comment s'adapter et trouver du soutien

Reconnaître et nommer la perte

La première étape, et peut-être la plus importante, est de reconnaître que vous vivez bel et bien une perte, voir même une succession de pertes, même si la personne est toujours en vie. C’est réel. Il est normal et sain de pleurer la personne telle qu'elle était, et la relation entre vous qui n’est plus. Il est normal de se questionner sur la suite des choses.

Trop souvent, les proches vivant un deuil blanc se retiennent de parler de leur peine puisque « au moins, la personne est encore là ». Je comprends l’intention derrière ces mots : ils cherchent à rassurer, à voir le verre à moitié plein. Mais ils écartent une part importante de la réalité. Nommer ce que vous traversez — dire « je vis un deuil blanc » —, c’est déjà reconnaître ce qui est en train de se jouer.
C’est aussi lancer un signal, une façon discrète mais claire d’inviter l’entourage à tendre la main.

Se reconnecter à l’instant présent

Dans le deuil blanc, il est facile de se perdre entre le passé (la personne, la relation telles qu'elles étaient) et l'avenir incertain (comment cela va-t-il évoluer, combien de temps encore). Cette oscillation constante entre hier et demain peut être épuisante et nous faire manquer ce qui existe encore aujourd'hui.

Se reconnecter à l'instant présent ne signifie pas nier la perte ou faire semblant que tout va bien. Cela signifie plutôt accueillir ce qui est là, maintenant, et le prendre tel quel pour lui donner une chance de nous dévoiler ce qu'il recèle. Peut-être existe-t-il des touches d'humour possible? De la douceur? Parfois, malgré la maladie ou les changements, il reste des moments de connexion, aussi brefs soient-ils. Un regard qui s'éclaire, une main qui serre la vôtre, un sourire qui traverse le visage de votre proche. Ces instants sont réels et précieux, même s'ils ne changent pas la réalité globale de votre situation.

L'instant présent peut aussi être un refuge lorsque l'anxiété du futur ou la tristesse du passé deviennent trop lourdes. Revenir à sa respiration, à ses sensations, aux gestes simples du quotidien peut offrir une pause, un moment de répit dans la tempête émotionnelle.

Accepter la coexistence d'émotions contradictoires

Une des clés pour traverser un deuil blanc est de passer d'une pensée binaire à l'acceptation que plusieurs vérités peuvent exister simultanément.

Vous pouvez aimer la personne qui est devant vous ET pleurer celle qu'elle était. Vous pouvez être reconnaissant des bons moments qui subsistent ET être en colère contre la maladie. Vous pouvez vouloir prendre soin de votre proche ET avoir besoin de temps pour vous.

Ces émotions ne s'annulent pas, elles coexistent. L'objectif n'est pas de choisir entre l'espoir et le désespoir, entre la présence et l'absence, mais d'accepter que les deux font partie de votre réalité. C'est ce qui permet d'apaiser la tension intérieure, tant que le deuil ne peut pas se faire.

Préserver votre identité et vos rôles

Vous êtes bien plus que l'aidant de cette personne. Vous êtes aussi parent, ami, professionnel... Continuez à vous investir dans vos autres rôles — autant que possible — dans les aspects de votre vie qui vous appartiennent.

Maintenir ces dimensions de votre identité n'est pas une trahison envers votre proche, c'est une nécessité pour votre survie émotionnelle. Malgré la perte ambiguë, vous restez fille de, mère de, ami de, collègue de... Vous avez le choix de vous investir dans ces rôles qui perdurent, ou même d'en créer de nouveaux, sans pour autant oublier la personne disparue. L'un n'empêche pas l'autre.

S'appuyer sur ses forces

On parle beaucoup des difficultés du deuil blanc, et avec raison. Mais il serait incomplet de ne pas reconnaître ce qui émerge aussi de cette épreuve : vos forces.

Jour après jour, vous continuez à être présent malgré l'épuisement, à aimer malgré la perte, à tenir malgré l'ambiguïté. Cette capacité d'adaptation, cette endurance émotionnelle, c'est une force réelle.

Vous avez probablement développé une créativité pour composer avec l'imprévu, pour trouver des façons de communiquer autrement, de décoder votre proche pour maintenir la connexion malgré les obstacles. Vous avez peut-être découvert une patience que vous ne vous connaissiez pas, une capacité à tolérer l'inconfort, à accepter ce qui ne peut être changé tout en agissant sur ce qui reste sous votre contrôle.

Prenez le temps d'identifier ces forces : qu'avez-vous appris sur vous-même? Quelles qualités se sont révélées ou renforcées? Qui êtes-vous devenu à travers cette épreuve? Ces découvertes font partie de votre histoire avec votre proche, au même titre que la perte elle-même.

Respecter ses limites

Reconnaître ses forces, c'est essentiel. Mais reconnaître ses limites l'est tout autant.

Il arrive un moment où prendre soin d'un proche atteint de troubles cognitifs, de dépendance sévère ou de changements majeurs de personnalité dépasse ce qu'une personne ou même une famille peut assumer seule. L'épuisement physique s'accumule, la charge mentale devient écrasante, votre propre santé se détériore.

Confier votre proche à une ressource d'hébergement spécialisée n'est pas un échec. Ce n'est pas un abandon. C'est parfois la décision la plus responsable et la plus aimante que vous puissiez prendre – pour votre proche qui aura accès à des soins adaptés, et pour vous qui pourrez préserver votre santé, votre énergie et continuer à être présent autrement.

Cette décision est déchirante, souvent accompagnée de culpabilité, je le sais. Mais elle ouvre aussi une possibilité : celle de transformer votre rôle. Vous cessez d'être l'aidant épuisé qui porte tout, pour redevenir simplement le fils, la fille, le conjoint qui vient visiter. Vous pouvez alors vous concentrer sur les moments de présence, sur ce qui reste de connexion, sans l'écrasement des soins quotidiens.

Respecter ses limites, c'est aussi reconnaître qu'on ne peut pas tout faire, qu'on a le droit de dire "je n'en peux plus", qu'on mérite du soutien et du répit. Ce n'est pas renoncer à aimer, c'est choisir une façon différente d'être présent – une façon qui vous permet de durer.

Briser l'isolement

Le deuil blanc se vit souvent dans une solitude. Briser cet isolement est essentiel.

Rejoignez un groupe de soutien où vous rencontrerez des gens qui vivent une situation similaire. Vous y trouverez des gens qui pourrait finir vos phrases… ils savent exactement ce que vous vivez. Parlez à un professionnel qui comprend la complexité du deuil ambigu. Confiez-vous à des amis qui savent vraiment écouter, sans juger, ni minimiser.

Se sentir moins seul avec ce mélange d'émotions contradictoires et cette impression d'être figé/dépassé peut faire toute la différence. D'autres comprennent ce que vous vivez, et leur présence peut valider votre expérience.

Créer vos propres rituels

Puisque la société n'offre pas de rituels pour le deuil blanc, créez les vôtres. Ces gestes symboliques peuvent vous aider à honorer ce qui a été perdu tout en continuant à avancer.

Cela peut être regarder d'anciennes photos, écrire une lettre à la personne telle qu'elle était, partager des souvenirs avec d'autres proches qui l'ont connue, créer un album ou une boîte de souvenirs. Ces rituels personnels donnent un espace à votre deuil et le rendent un peu plus tangible.

Trouver du sens malgré la perte

Il ne s'agit pas ici de l'espoir de retrouver la personne telle qu'elle était – cet espoir peut être source de souffrance supplémentaire. Il s'agit plutôt d'éveiller l'espoir de s'adapter à votre nouvelle vie, de revivre des moments heureux sans oublier qui était votre proche.

L'objectif est d'arriver à se représenter sa vie qui continue malgré le deuil ambigu, plutôt que de rester dans la perspective de "s'arrêter de vivre tant que...". Cela demande de retrouver les aspects de votre vie sur lesquels vous avez encore du contrôle, car le sentiment d'impuissance qui accompagne le deuil blanc peut être écrasant.

Un deuil ambigu…

Ce type de deuil ambigu ne se présente pas à la suite d'‘un événement marquant, évident. Il s’agit plutôt d’une lente réorganisation du lien, un apprentissage du “faire avec”. Certains jours, on se surprend à espérer; d’autres, tout paraît trop lourd. Entre les deux, il y a les gestes du quotidien, la tendresse obstinée, et cette fidélité à ce qui a compté.

Ce parcours n’a rien d’évident. Il mérite d’être soutenu, vu, entendu. Parfois, demander un appui, c’est simplement reconnaître que personne ne traverse cette zone grise seul.

Pour en savoir plus sur le deuil blanc et les stratégies d'adaptation,
vous pouvez écouter la Clinique Famille à laquelle j’ai participé avec Nadia Gagnier à l'émission Pénélope de Radio-Canada :


Références bibliographiques:
Boss, P. (1999). Ambiguous loss. Harvard University Press.
Boss, P. (2002). Ambiguous loss: Working with families of the missing. Family Process, 41, 14-17.
Grenier, J. et Laplante, É. (2020). La condition précaire des personnes proches aidantes complexifiée par les pertes et le deuil ambigus. INTERVENTION, 151, 163-178.
Société Alzheimer du Canada. (2019). Le deuil blanc : Ressource pour les personnes atteintes de l'Alzheimer ou d'une maladie apparentée et leurs proches.




Suivant
Suivant

Le deuil blanc :